L’importance de la gouvernance des régimes de retraite

les quatre piliers du succès des régimes de retraite canadiens

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Dans les années 1980, le capital des régimes de retraite canadiens était largement, sinon entièrement investi dans des obligations gouvernementales intérieures essentiellement financées sur le mode de la comptabilisation au décaissement. Ils ne comportaient pas de structures de gouvernance indépendante et étaient administrés selon des « méthodes périmées et sujettes à l’erreur »1 (trad.). À l’inverse, le Canada est considéré de nos jours comme un chef de file mondial du secteur des régimes de retraite.

Les régimes de retraite canadiens, qui sont caractérisés par une structure de gouvernance indépendante, une gestion professionnelle des placements, une diversification poussée sur les plans des catégories d’actifs et des régions du monde de même que par un cadre réglementaire robuste, ont connu une profonde transformation au cours des quatre dernières décennies. L’approche pragmatique du Canada offre d’excellentes leçons aux autres pays souhaitant imiter le modèle canadien, qui a généré une valeur supplémentaire évaluée à 4,2 milliards $ CA par année au cours des 10 dernières années2.

Une structure de gouvernance indépendante des régimes de retraite contribue à assurer un financement adéquat

Points saillants

  • Le modèle actuel des régimes de retraite canadiens, avec sa structure de gouvernance indépendante, sa gestion professionnelle des placements, sa grande diversification mondiale par catégorie d’actif et zone géographique et son solide cadre réglementaire, est maintenant imité par des régimes de premier ordre aux quatre coins du monde
  • Grâce à l’efficacité de leur modèle, les régimes de retraite canadiens peuvent recruter et conserver des talents de calibre mondial, en particulier dans le domaine de la gestion de leurs placements, qui se fait à l’interne pour nombreux régimes de retraite canadiens
  • Afin d’appuyer la gouvernance efficace des régimes de retraite, l’Association canadienne des organismes de contrôle des régimes de retraite (ACOR) a mis en place des principes pour aider les administrateurs de régime à s’acquitter de leurs responsabilités de gouvernance

Selon Ryan Silva, Directeur général et chef, Caisses de retraite et assurances à RBC Services aux investisseurs et de trésorerie, « le principal facteur expliquant la force du modèle actuel de régimes de retraite publics pourrait bien être l’absence de tout lien de dépendance entre les gouvernements et les régimes de retraite. » Comparativement à la situation qui avait cours dans les décennies précédentes, « cette séparation permet l’exploitation des régimes de retraite dans un cadre qui exige des niveaux élevés de reddition de comptes et d’indépendance. »

Pendant longtemps, les régimes de retraite canadiens ne jouissaient que d’une indépendance limitée, tant en matière de gouvernance que sur le plan des stratégies d’investissement. Jusqu’au milieu des années 1980, les régimes de retraite publics au Canada étaient principalement gérés par des employés du gouvernement et les régimes eux-mêmes ne pouvaient faire des placements que dans une gamme très restreinte de produits financiers. Certains régimes étaient même confinés aux obligations gouvernementales non garanties3.

Ces restrictions ont éventuellement mené les promoteurs et les membres des régimes à exprimer des préoccupations concernant la viabilité à long terme des régimes et incité les gouvernements à lancer des consultations et à mener des recherches sur l’état des régimes de retraite au Canada. À la suite de ces consultations, le gouvernement de l’Ontario a mis sur pied en 1988 le premier régime de retraite professionnel sans lien de dépendance au Canada, le Régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (RREO)4.

À l’inverse de la situation qui prévaut pour les régimes de retraite publics aux États-Unis, l’une des conséquences à long terme de l’adoption de règles exigeant la gestion des régimes de retraite publics du Canada par des professionnels, à la suite de l’adoption de structures de gouvernance sans lien de dépendance, est que la plupart des régimes de retraite publics canadiens sont presque entièrement capitalisés, sinon surcapitalisés5.

Chez nos voisins du Sud, par contre, on compte généralement des politiciens et des représentants de syndicats parmi les gestionnaires des régimes de retraite publics. Ces groupes peuvent hésiter à adopter des mesures de gouvernance prudente telles que l’augmentation des cotisations ou la réduction des prestations, lorsqu’elles sont justifiées, et favorisent plutôt le maintien de la situation courante, pourtant intenable. Par conséquent, certains régimes de retraite publics américains doivent composer avec une augmentation du passif sans disposer de solutions faciles6.

Le miracle du modèle canadien réside dans le fait que les politiciens et les dirigeants syndicaux aient accepté de s’effacer

Pour leur part, les intervenants gouvernementaux et syndicaux canadiens ont permis à des professionnels de prendre les rênes de la gestion des régimes de retraite. « Le miracle du modèle canadien, affirme Keith Ambachtsheer, réside dans le fait que les politiciens et les dirigeants syndicaux aient accepté de s’effacer7. »

La gestion professionnelle des placements attire des talents de premier plan

De nombreux régimes de retraite canadiens confient la gestion de leurs placements à des équipes à l’interne, au lieu de faire appel à des firmes de gestion financière externes. Cette structure a assuré le succès des régimes au Canada en raison, entre autres, du fait que les pratiques de rémunération des dirigeants des régimes ont été exemptées des restrictions applicables à la fonction publique, ce qui permet aux régimes de retraite d’offrir des programmes de rémunération comportant des volets fondés sur le rendement.

Au cours de plusieurs décennies, les groupes de gestion des régimes de retraite canadiens, qui « étaient considérés comme des organisations relativement ternes, se sont transformés pour devenir des milieux de travail très convoités en raison de leur mission publique, des tâches stimulantes qu’y exécutent leurs employés, de leur orientation générale et de leur rémunération concurrentielle8 (trad.) ».

Ce cadre de rémunération plus généreux signifie que les régimes de retraite canadiens sont en mesure de livrer concurrence à l’échelle mondiale pour attirer des talents et, par conséquent, affichent généralement un rendement favorable comparativement aux régimes qui font appel à des gestionnaires externes, particulièrement si l’on tient compte des placements alternatifs.

Des régimes diversifiés qui comprennent des actifs atypiques

Les placements liés à des actifs non traditionnels constituent un autre domaine dans lequel les régimes de retraite canadiens se démarquent

Les placements liés à des actifs non traditionnels constituent un autre domaine dans lequel les régimes de retraite canadiens se démarquent. Les régimes de retraite sont généralement diversifiés des points de vue géographique et des catégories d’actifs, et comprennent notamment d’importants investissements dans des actifs atypiques comme l’immobilier, les placements privés, les infrastructures et les titres de créance privés.
L’exposition des régimes de retraite canadiens aux
actifs alternatifs, en particulier, est nettement supérieure
à celle des autres régimes à l’échelle mondiale9.

Les régimes de retraite sont soutenus par un cadre réglementaire robuste

« La dernière pièce du casse-tête est le cadre réglementaire robuste sur lequel s’appuient les régimes de retraite canadiens », ajoute Ryan Silva.

À titre d’exemple, on peut citer l’utilisation de facteurs d’actualisation dans la détermination du passif des régimes. Aux États-Unis, les régimes de retraite publics peuvent utiliser le rendement prévu de l’actif comme facteur d’actualisation pour l’établissement du coût des obligations futures10. Ceci diffère des règles applicables aux régimes de retraite privés canadiens et américains, qui appliquent normalement le taux de rendement des obligations à long terme des gouvernements et des sociétés privées comme facteur d’actualisation11. Comme le rendement prévu des obligations est inférieur à celui des autres catégories d’actifs, y compris les actions, l’utilisation du rendement sur les obligations produit des évaluations plus prudentes du passif des régimes.

Si l’on fonde le facteur d’actualisation des régimes de retraite sur le rendement de catégories d’actifs produisant des rendements plus élevés, le passif des régimes diminue, malgré l’imposant défi que soulève un environnement caractérisé par de faibles taux d’intérêt. Ces hypothèses de rendement plus favorables peuvent inciter les régimes de retraite publics à composer des portefeuilles et à adopter des stratégies de placement présentant un niveau de risque supérieur pour combler tout déficit de capitalisation, car les politiciens et les dirigeants syndicaux ne sont pas disposés à corriger les lacunes sur le plan de la capitalisation en haussant les cotisations ou en réduisant les prestations12.

En plus d’hypothèses plus prudentes concernant le facteur d’actualisation, les plus importants régimes de retraite du Canada ont également adopté un modèle de « risque partagé » qui fait appel à une protection classique contre l’inflation afin de répartir de façon équilibrée le risque entre les membres actifs et retraités des régimes. Ces structures permettent aux régimes d’augmenter les taux de cotisation ou de réduire les prestations en supprimant la protection contre l’inflation, ce qui leur donne une plus grande marge de manœuvre pour combler les déficits. Combinées à des facteurs d’actualisation inférieurs, les projections de passif des régimes de retraite canadiens sont plus prudentes et réalisables que celles de leurs équivalents américains13.

« Lorsqu’on les combine, ces quatre éléments de gouvernance des régimes de retraite du Canada contribuent fortement au succès de ce modèle, a déclaré Ryan Silva. Les régimes de retraite canadiens sont reconnus pour leur gouvernance indépendante, leur gestion professionnelle des placements, la diversification de leurs portefeuilles d’actifs et le robuste contexte réglementaire dans lequel ils sont gérés. Les efforts accomplis par les dirigeants des régimes de retraite au Canada pour parvenir à ce point sont largement attestés par la robustesse actuelle et prévisible des régimes canadiens. 

Les onze principes régissant la gouvernance des régimes de retraite du Canada

L’Association canadienne des organismes de contrôle des régimes de retraite (ACOR) a mis en place onze principes régissant la gouvernance des régimes de retraite pour « aider les administrateurs de régime à s’acquitter de leurs responsabilités de gouvernance ». Ces principes, qui prennent appui sur une version antérieure créée en 2004, semblent représenter une « norme d’excellence » au chapitre des meilleures pratiques que les administrateurs de régime devraient s’efforcer d’atteindre, et sont souvent considérés comme les critères à l’aide desquels un tribunal évaluerait la performance des administrateurs de régime 14. Voici ces principes :

Principe 1 : Obligations fiduciaires

L’administrateur du régime a des obligations fiduciaires envers les participants et les bénéficiaires du régime. Il peut aussi avoir des obligations envers d’autres intervenants.

Principe 2 : Cadre de gouvernance

L’administrateur du régime doit mettre en place et documenter un cadre de gouvernance pour l’administration du régime.

Principe 3 : Rôles et responsabilités

L’administrateur de régime doit décrire clairement et documenter les rôles, les responsabilités et les obligations de reddition de compte de toutes les parties prenantes du processus de gouvernance du régime.

Principe 4 : Suivi de la performance

L’administrateur du régime doit mettre en place et documenter des mesures afin d’effectuer le suivi de la performance de toutes les parties prenantes du processus de gouvernance et d’administration du régime.

Principe 5 : Connaissances et compétences

L’administrateur du régime a le devoir de déployer, directement ou par l’intermédiaire des mandataires, les connaissances et les compétences nécessaires à l’exécution de ses obligations d’administration.

Principe 6 : Renseignements sur la gouvernance

L’administrateur du régime doit mettre sur pied et documenter un processus permettant d’obtenir et de fournir aux parties prenantes du processus de gouvernance l’information nécessaire pour que soient remplies les obligations fiduciaires et autres responsabilités.

Principe 7 : Gestion des risques

L’administrateur du régime doit mettre en place et documenter un cadre et des processus continus, qui conviennent au régime, pour déterminer et gérer les risques auxquels est exposé le régime.

Principe 8 : Supervision et conformité

L’administrateur du régime de retraite doit mettre en place et documenter des processus appropriés pour assurer le respect des exigences prévues par la loi et des documents régissant le régime de retraite.

Principe 9 : Transparence et reddition de comptes

L’administrateur du régime doit mettre en place et documenter un processus de communication dans le but d’assurer la transparence et la reddition de comptes auprès des participants et des bénéficiaires du régime et des autres intervenants.

Principe 10 : Code de conduite et conflit d’intérêts

L’administrateur du régime doit mettre en place et documenter un code de conduite intégrant une politique de gestion des conflits d’intérêts.

Principe 11 : Examen de la gouvernance

L’administrateur du régime doit mettre en place et documenter un processus d’examen périodique du cadre de gouvernance et des processus connexes du régime de retraite.

 

Sources

  1. Banque mondiale et Common Wealth, The Evolution of the Canadian Pension Model: Practical Lessons for Building World-Class Pension Organizations (Évolution du modèle des régimes de retraite canadiens : leçons pratiques sur la conception de régimes de retraite de classe mondiale (septembre 2017), page xi.
  2. Top 1000 Funds, The Value of the Canadian Model (Valeur du modèle canadien (8 août 2017)
  3. Banque mondiale et Common Wealth, page 25.
  4. Banque mondiale et Common Wealth, page 8.
  5. American Legislative Exchange Council (ALEC), Unaccountable and Unaffordable: Unfunded Public Pension Liabilities (Non-imputabilité et non-abordabilité : engagements non provisionnés au titre des régimes de retraite du secteur public) (décembre 2017)
  6. Craig Foltin, CPA, DBA ; Dale Flesher, CPA, CGFM ; Gary Previts, CPA ; et Mary Stone, CPA, Public Pension Underfunding (Sous-capitalisation des régimes de retraite du secteur public), revue Strategic Finance (1erseptembre 2018)
  7. Entrevue avec Keith Ambachtsheer, Banque mondiale et Common Wealth, page 45.
  8. Banque mondiale et Common Wealth, page 48.
  9. Boston Consulting Group, Measuring the Impact of Canadian Pension Funds (mesure de l’incidence des régimes de retraite canadiens) (octobre 2015)
  10. Lisa Schilling, U.S. Pension Plan Discount Rate Comparison 2009-2014 (Comparaison du taux d’actualisation des régimes de retraite américains de 2009 à 2014), article publié par la Society of Actuaries sur soa.org (septembre 2016)
  11. Voir, par exemple, le taux d’actualisation du régime de retraite des enseignantes et des enseignants de l’Ontario.
  12. Voir, par exemple, Public Pension Underfunding (Sous-capitalisation des régimes de retraite du secteur public).
  13. La Banque mondiale et Common Wealth, page 62.
  14. Fasken, Canada’s Pension Regulators Are Getting Serious About Good Governance of Pension Plans (les autorités de réglementation des régimes de retraite s’attaquent sérieusement à la bonne gouvernance des régimes de retraite) (27 avril 2016)